Romans

« Syngué Sabour : Pierre de patience » d’Atiq Rahimi

emilie Un avis de Saiwhisper

Titre : « Syngué Sabour : Pierre de patience »
Auteur : Atiq Rahimi
Genre : Roman contemporain
Éditeur : P.O.L.

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résumé du livre.
« Cette pierre que tu poses devant toi… devant laquelle tu te lamentes sur tous tes malheurs, toutes tes misères… à qui tu confies tout ce que tu as sur le cœur et que tu n’oses pas révéler aux autres… Tu lui parles, tu lui parles. Et la pierre t’écoute, éponge tous tes mots, tes secrets, jusqu’à ce qu’un beau jour elle éclate. Elle tombe en miettes. Et ce jour-là, tu es délivré de toutes tes souffrances, de toutes tes peines… Comment appelle-t-on cette pierre ? »

En Afghanistan peut-être ou ailleurs, une femme veille son mari blessé. Au fond, ils ne se connaissent pas. Les heures et les jours passent tandis que la guerre approche. Et la langue de la femme se délie, tisse le récit d’une vie d’humiliations, dans l’espoir d’une possible rédemption.

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Ma critique

Ouvrage choc prêté par ma mère, cette dernière m’avait avertie que l’intrigue était à la fois sombre et bouleversante… J’ai donc attendu d’être dans un bon état d’esprit pour découvrir « Syngué Sabour : Pierre de patience ». Si vous êtes amené(e) à plonger dans le récit, je vous invite à faire de même, car il s’agit d’une lecture qui ne laisse pas de marbre. Le résumé explique assez bien ce que l’on va trouver au fil des pages : une femme veillant auprès de son époux extrémiste blessé suite à la guerre. Jour après jour, elle va veiller sur lui. Atiq Rahimi arrive vraiment bien à retranscrire les émotions de cette compagne, comme sa détresse, sa peur, son épuisement, son amertume, sa colère, sa peur, sa douleur, sa solitude, … couv66499726Il faut dire que ses journées sont longues et similaires. Sans cesse, elle alimente son mari, le lave, prend soin de lui et lui parle. C’est sa parole qui va alimenter cette histoire, puisqu’elle va non seulement lui faire la conversation, mais elle va aussi narrer son enfance difficile (avec cette figure paternelle horrible), son mariage (bien triste, comme souvent dans les romans afghans que j’ai été amenée à lire), sa famille et ses secrets. Très vite, l’épouse va être persuadée que ce sont ses confidences qui maintiennent son conjoint en vie…

Dans ce huis-clos, on ne quittera pas la pièce où se trouve le corps de l’homme. Ce choix est pertinent et permet de mettre en avant cette situation difficile. Le style haché, puissant et envoûtant de l’auteur renforce la puissance du texte, puisque l’on utilise des phrases courtes. J’ai beaucoup aimé sa plume ! Cette dernière m’a transportée dans cette pièce poussiéreuse, à écouter les tirs dehors, aux côtés de cette femme patiente, admirable et courageuse ! Celle-ci m’a énormément touchée à travers ses confessions. On la comprend aisément cette revanche envers son mari, mais également la gent masculine en général. Il semble toujours si difficile d’être une Femme dans certains pays, car cela signifie souvent être considérée comme du bétail que l’on échange selon ses désirs. Et c’est encore pire si l’on n’arrive pas à concevoir de descendance (c’est forcément la compagne qui est stérile) ou si l’on a uniquement des filles ! Ce livre met également en avant la guerre et la radicalisation. Le contexte est très sombre et ce qu’il se passe dans le quartier de l’héroïne ne donne pas la sensation d’être en sécurité… Il faudra parfois faire preuve de ruse pour survivre, notamment lorsque des soldats font irruption chez soi. Le dénouement retranscrit assez bien l’ambiance qui règne au fil des pages : c’est tragique, abominable, révoltant et douloureux ! J’ai refermé cet ouvrage avec peine et émoi. Un monologue aussi sensible qu’intense qui mérite son prix Goncourt.

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Citations

Le soleil se couche.
Les armes se réveillent.
Ce soir encore on détruit.
Ce soir encore on tue.
Le matin.
Il pleut.
Il pleut sur la ville et ses ruines.
Il pleut sur les corps et leurs plaies.
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Une mouche s’invite dans l’ambiance muette de la pièce. Elle se pose sur le front de l’homme. Hésitante. Incertaine. Elle erre sur ses rides, lèche sa peau sans goût.
Elle descend dans le coin de son oeil. Toujours hésitante. Toujours incertaine. Elle goûte le blanc de l’œil puis se retire.Rien ne la chasse. Elle continue son chemin, se perd dans la barbe, grimpe sur le nez. S’envole. Explore le corps. Revient. Se pose de nouveau sur le visage. S’agrippe au tube enfoui dans cette bouche entrouverte. Elle le lèche, le longe jusqu’à la commissure des lèvres. Pas de bave.Pas de goût. Elle s’avance, pénètre dans la bouche. Et s’y engouffre.
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Debout. Sa main gauche égrène toujours le chapelet noir. « Je peux même te dire qu’en mon absence tu as respiré trente-trois fois. » Elle s’accroupît. « Et même là, en ce moment, lorsque je te parle, je peux compter tes souffles. » Elle lève le chapelet pour le tenir dans le champ incertain du regard de l’homme. « Voilà, depuis mon arrivée, tu as respiré sept fois. » Elle s’assoit sur le kilim et continue : « Mes journées, je ne les divise plus en heures, et les heures en minutes, et les minutes en secondes…une journée pour moi égale quatre-vingt-dix-neuf tours de chapelet ! »
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Ma note

4/5

10 réflexions au sujet de « « Syngué Sabour : Pierre de patience » d’Atiq Rahimi »

  1. Je l’ai emprunté et finalement je ne lui pas trouvé de place dans mon planning…Tu même fais regretter de l’avoir rendu à la bibliothèque, même si je ne le voyais pas aussi noir. Merci pour cet avis, il sera en lecture très prochainement alors!

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  2. Je ne connaissais pas ce roman mais le choix du huis-clos avec cette femme qui s’épanche tout en veillant sur son mari semble une manière aussi originale qu’étouffante d’évoquer des sujets difficiles… Quant à la fin que tu évoques, j’imagine qu’elle laisse le lecteur avec une grosse boule au ventre.

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