Un avis de Saiwhisper
Titre : « Août 61 »
Auteur : Sarah Cohen-Scali
Genre : Roman historique / Littérature pour ados, YA et adultes
Éditeur : Albin Michel
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Ben ne sait plus qui il est, il ne reconnaît plus ses proches. Alzheimer ? Il va devoir revisiter un passé douloureux dans l’Allemagne en guerre et celle de la libération, puis dans l’Angleterre et la France des années cinquante. Son fil rouge, fil d’Ariane dans le labyrinthe d’une mémoire traumatique : son amour d’enfance, Tuva, née dans un Lebensborn norvégien, qu’il rejoint à Berlin, un soir d’août 1961, alors que le Mur va scinder la ville en deux.
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Même si j’avais lu la très bonne critique de Lire à la folie pour qui ce roman fut un coup de cœur, je ne savais plus vraiment dans quoi j’allais atterrir en ouvrant « Août 61 ». Je me souvenais simplement du contexte historique et espérais être autant conquise par cette nouvelle publication de l’auteure que par « Max » ou par « Orphelins 88 ». J’ai finalement apprécié cette histoire qui va nous placer aux côtés de Ben, un octogénaire souffrant d’Alzheimer. Suite à un événement, celui-ci va reconstituer petit à petit son passé, nous amenant directement dans une période de Seconde Guerre mondiale, puis d’Après-guerre. J’ai été conquise par la narration proposée par Sarah Cohen-Scali. Tout d’abord, elle a utilisé la technique de double temporalité que j’affectionne particulièrement. On va ainsi alterner entre le présent avec Ben qui tente de se souvenir ainsi que le passé, lorsque Ben était encore Beniek ou encore Beni, selon les périodes de sa vie. De plus, elle a opté pour une narration originale en employant la seconde personne du singulier avec « Al », sa maladie lui rongeant la mémoire, qui va directement s’adresser à lui.
Dans cette recherche du passé, on va faire la rencontre de Tuva, une ancienne enfant du programme Lebensborn (des bambins représentants de la race aryenne dont les mères ont été sélectionnées par les nazis pour créer des descendants purs). Tuva va d’ailleurs être narratrice durant le dernier tiers du livre, ce qui va permettre au lecteur d’apprendre à davantage la connaître. Si j’avais un peu de mal avec le choix difficile de cette narratrice, j’ai finalement appris à apprécier, notamment en raison de son caractère protecteur et déterminé. L’auteure a su proposer deux personnages principaux très touchants et que l’on va aimer suivre, même si ce qu’ils vont traverser est difficile, brutal, inhumain et révoltant. À mes yeux, Tuva est celle qui sera la plus marquée par la vie. Ce qu’elle va subir, ses rêves et ses combats au quotidien sont véritablement bouleversants… Il faut dire que Sarah Cohen-Scali a toujours une aussi bonne plume : à la fois lente, réaliste, efficace et chargée émotionnellement ! On sent qu’elle a fait beaucoup de recherches sur cette période historique. Pourtant, après deux lectures sur le sujet, j’étais persuadée qu’elle avait fait plus ou moins le tour… Toutefois, je me suis trompée !
Si vous cherchez un roman historique, celui-ci peut vous plaire, que vous soyez un grand ado ou un(e) adulte ! Le fait que l’on couvre plusieurs époques m’a plu, car cela change des récits habituels traitant de la guerre de 39-45. On n’est pas dans un texte aux côtés des soldats, ni très longtemps dans les camps de concentration, mais plutôt sur l’Après, avec toutes les retombées psychologiques sur des enfants/adolescents devant grandir avec ces traumatismes ainsi que les événements succédant la Guerre comme la construction du mur de Berlin. De plus, on ne va pas se concentrer uniquement sur la France ! L’action se déroulera également en Angleterre, puis en Allemagne. Par ailleurs, le parallèle avec notre époque et les migrants est bien vu… Globalement, j’ai passé un très bon moment même si, hélas, ce ne fut pas non plus une aussi bonne lecture que les deux autres one-shot de l’auteure. J’ai parfois eu du mal à être dans le récit, car l’ambiance était parfois un peu pesante. De plus, le rythme lent a engendré quelques longueurs, surtout dans la première partie, ce qui a joué sur mon ressenti général. Cela dit, je suis tout de même ravie d’avoir fait la rencontre de Ben et de Tuva !
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L’amour a cet étrange pouvoir de vous donner un sentiment d’invulnérabilité total. On en devient idiot. Je ne me ferai cette réflexion que plus tard. Trop tard.
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Je n’avais plus envie de cette incursion dans ton époque, Ben, Elle me rappelait trop la mienne. Elle m’a paru tout aussi cruelle.
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Pourquoi y a-t-il des migrants à ton époque ? D’où viennent-ils ? Il y a donc eu une autre guerre ? Il y a, encore et toujours, des orphelins comme nous autres, les Boys, qui errent sur les routes et attendent qu’un pays les accueille ? Ou a-t-elle eu lieu cette guerre ?
Tu détestes ce feu battant de questions dont je te mitraille.
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La faim que j’évoque, la faim de cette période, était une torture permanente, je l’ai connue à Mauthausen dès l’âge de huit ans. Éprouver cette faim-là, c’est comme entrer dans un tunnel, qui mène à un autre tunnel, et à un autre encore, sans que ce labyrinthe de ténèbres soit jamais percé de la moindre étincelle de lumière. Cette faim, c’est un assaut permanent entre le corps et l’esprit. C’est une douleur incessante, qui dévore ton corps et infecte ton esprit. Elle te transforme en animal. Elle t’obsède jour et nuit par un cortège d’images, celle d’un bout de pain que tu rêves de mâcher, celle d’un gâteau dont tu sens la merveilleuse odeur. Au réveil, tu te réjouis, tu crois avoir dans la bouche ce morceau de pain ou de gâteau, mais tu n’as sur les lèvres qu’une salive amère qui te rappelle que ton ventre est vide et le restera. Toute la journée. Et les jours qui suivront. A cet instant précis, tu te dis que tu aurais préféré ne pas te réveiller du tout, comme ton voisin que tu découvres mort sur la planche de bois qui te sert de lit. Rien n’est plus dévastateur que la faim.
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♥♥♥♥ 4/5
Je suis un peu déçue que tu l’aimes moins, mais je peux comprendre.
J’ai tellement été frappée par toute cette histoire qui a beaucoup résonné en moi que je n’ai pas sentie une seule longueur^^ L’ambiance pesante n’a pas été un frein du tout pour moi même si j’ai eu mal au cœur un nombre de fois inimaginable. Le parallèle avec le présent me heurtait si fort que je crois que je suis restée émue presque durant tout le récit.
Mais je suis contente que tu aies aimé quand même 😉
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« Je n’avais plus envie de cette incursion dans ton époque, Ben, Elle me rappelait trop la mienne. Elle m’a paru tout aussi cruelle. » Cette phrase m’a mis une terrible claque à la lecture, je l’ai mis dans mon article alors que je le fais jamais habituellement 😉
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Oui, j’ai vu qu’elle était dans ton article ! ❤ C'est une phrase effectivement très forte…
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Je comprends que l’histoire t’aie profondément émue ! Certaines scènes m’ont également bouleversée, notamment avec Tuva…
Oui, les nombreux parallèles avec le présent sont très pertinents et justes.
❤ Oui, c'était bien ! (même si, effectivement, j'ai préféré les deux autres.)
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J’aime beaucoup l’idée de personnifier la maladie parce qu’elle tend à prendre beaucoup, voire toute la place, dans la vie des personnes qui ont la malchance de la développer…
Malgré les longueurs que tu as ressenties, la narration a l’air plaisante tout comme la plume de l’autrice que j’ai de plus en plus envie de découvrir. Quant à parler de l’après et de la reconstruction, c’est une manière d’aborder le sujet qui semble intéressante…
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Cette personnification est effectivement pertinente et brillamment efficace. Ce narrateur qui s’adresse au personnage principal m’a beaucoup marqué et fait l’une des forces de ce titre.
Je t’incite vraiment à découvrir la plume de l’auteure avec l’un de ses trois titres sur la seconde guerre mondiale. Ca vaut le détour et c’est toujours bouleversant ! ❤
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