Romans

« La salle de bal » d’Anna Hope

emilie Un avis de Saiwhisper

Titre : « La salle de bal »
Auteur : Anna Hope
Genre : Roman historique
Éditeur : Folio

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résumé du livre

Lors de l’hiver 1911, l’asile d’aliénés de Sharston, dans le Yorkshire, accueille une nouvelle pensionnaire : Ella, qui a brisé une vitre de la filature dans laquelle elle travaillait depuis l’enfance. Si elle espère d’abord être rapidement libérée, elle finit par s’habituer à la routine de l’institution. Hommes et femmes travaillent et vivent chacun de leur côté : les hommes cultivent la terre tandis que les femmes accomplissent leurs tâches à l’intérieur. Ils sont néanmoins réunis chaque vendredi dans une somptueuse salle de bal. Ella y retrouvera John, un « mélancolique irlandais ». Tous deux danseront, toujours plus fébriles et plus épris.
À la tête de l’orchestre, le docteur Fuller observe ses patients valser. Séduit par l’eugénisme et par le projet de loi sur le Contrôle des faibles d’esprit, Fuller a de grands projets pour guérir les malades. Projets qui pourraient avoir des conséquences désastreuses pour Ella et John.

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Ma critique

« La salle de bal » fut un roman sensible, dur, impitoyable et intéressant du point de vue historique ! Lu à plusieurs dans le cadre d’une lecture commune, j’ai eu le plaisir de partager au fil des chapitres sur les personnages ou les situations vécues qui n’ont laissé aucune de nous trois insensibles. Certes, nos ressentis finaux sont divers et je suis la seule à vraiment avoir apprécié cette plongée dans l’Asile de Sharston toutefois, ce fut très bien d’avoir plusieurs points de vue et de débattre. Ainsi, je remercie Bountynette et Sweetginie pour nos échanges !

couv29014849Grâce à une triple narration, on va découvrir ce qu’il se cache derrière les murs d’un asile où sont enfermées des personnes démentes, mais aussi, d’autres qui le sont beaucoup moins… Du côté des femmes, on distingue par exemple Ella, une héroïne courageuse, observatrice, douce et obstinée qui clame son innocence. J’ai ressenti énormément de compassion pour elle, me demandant même comment j’aurais réagi à sa place face à une telle situation. Son amitié avec Clem, une autre patiente, m’a passionnée, car elle est loin d’être classique… Chacune a besoin de l’autre, tandis que leurs échanges permettent de s’évader psychologiquement du quotidien. Jalousie, attachement, envie, miséricorde, entraide, rejet, attirance, … C’est un lien complexe et intense qui va lier les deux jeunes femmes. Du côté des hommes, il y a le beau John au passé aussi douloureux que ces dames ! John est un pensionnaire doux, tourmenté, cultivé, intelligent et attachant. Lui aussi va former un très joli binôme avec son ami Dan. Ce quatuor touchant va nous faire ressentir une myriade d’émotions… Tout comme Charles, alias le Dr Fuller ! Voilà un antagoniste à la personnalité trouble, cruelle, introvertie, frustrée, obsessionnelle, révoltante et déstabilisante. La narration va régulièrement confronter le lecteur à ses réflexions ainsi qu’à ses idées scandaleuses, en particulier celles qui touchent à la ségrégation et à la stérilisation. J’ai trouvé ce personnage très intéressant, car on n’a pas un simple antagoniste qui ne sert qu’à mettre des bâtons dans les roues des protagonistes. On a un véritable individu au comportement retors faussement justifié par les théories scientifico-politiques de l’époque, persuadé qu’il œuvre pour le bien. D’une certaine manière, il m’a rappelé Richard Strickland de « La forme de l’eau ».

Un sentiment d’injustice. C’est ce qui m’a animée tout au long de ma lecture. À plusieurs reprises, les personnages vont vivre des horreurs ou des humiliations révoltantes. L’auteure a très bien su retranscrire l’idéologie de l’époque où l’on pointait du doigt les classes populaires dont on souhaitait restreindre la fécondité, ainsi que les personnes jugées « anormales ». Ce dernier cas englobe malheureusement n’importe qui, même des femmes dont on voulait se débarrasser, celles qui sont trop instruites ou des personnes ayant eu un brusque comportement rebelle. Des circonstances souvent malheureuses, absurdes et implacables. Un pan historique bouleversant et pourtant réel, comme le souligne Anna Hope dans ses remerciements (son arrière-grand-père a été interné) ou comme le développent d’autres auteurs comme le dernier prix Renaudot des Lycéens (« Le bal des folles » de Victoria Mas). Dans ce huis-clos où l’espoir n’est pas permis, un jour se distingue des autres : le vendredi. C’est là que les patients se retrouvent pour danser. Un moment offert uniquement aux plus sages, dociles et méritants…

Bien que le rythme soit calme et plus propice aux sentiments ou aux échanges, je n’ai pas ressenti d’ennui. Jusqu’au bout, j’ai été intéressée par le destin de ces cinq personnages… Même s’il est un peu précipité, le dénouement m’a d’ailleurs émue. Une très belle note finale, délicate, sensible et amère. Pour moi, ce fut une riche plongée émotionnelle qui m’a rappelé deux très belles œuvres : « Vol au-dessus d’un nid de coucous » ou encore « Mille femmes blanches » de Jim Fergus. À découvrir !

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Citations

Contrairement à la musique, il a été démontré que la lecture pratiquée avec excès était dangereuse pour l’esprit féminin… si un peu de lecture légère ne porte pas à conséquence, en revanche une dépression nerveuse s’ensuit quand la femme va à l’encontre de sa nature.
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Le dernier jour de la moisson, le ciel immobile était une jatte de bleu. Le matin, les hommes restèrent silencieux, assommés par la chaleur et l’épuisement qui lestaient leurs membres, mais en fin d’après-midi John chanta : la seule voix qui s’élevait au-dessus de ces champs fauchés, une chanson qu’il ne se rappelait même pas connaître. Une que son père fredonnait, là-bas sur les plages de varech quand John était petit, et quand il l’entonna il se rendit compte qu’il la connaissait si bien que c’était comme endosser un habit porté par son père, et le père de son père avant lui, et tous les pères de la lignée, et qui lui allait donc mieux que n’importe quel autre habit.
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Pendant son travail, l’idée qu’elle et les autres femmes étaient piégées à l’intérieur était comme un caillou dans sa chaussure, un gravillon, de ceux avec lesquels on peut marcher plusieurs kilomètres sans que la foulée se trouve entravée, mais là néanmoins, impossible à oublier.
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Ah ça il les aimait ses histoires, Dan, c’était bien une étrange histoire à lui tout seul, avec sa gueule carrée, sa poitrine d’hercule et ses bras pareils à deux jambons, encrés partout de tatouages d’oiseaux, de fleurs et de créatures moitié femme, moitié bête. Jadis marin – vingt ans de mer -, il appelait John « mio Capitane » parce qu’il lui rappelait, c’est ce qu’il disait, un capitaine italien qu’il avait eu :  » un bien bel omi, pile comme toi ». Il avait navigué jusqu’au jour où il avait perdu son permis de la marine marchande, puis était devenu pugiliste, terrassant des types dans les foires contre de l’argent. Mais il racontait beaucoup d’histoires, et on ne savait jamais lesquelles étaient vraies.

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Ma note

 4,5/5

 

14 réflexions au sujet de « « La salle de bal » d’Anna Hope »

  1. Il est dans ma PAL depuis un moment, mais je n’ai jamais trouvé le bon moment pour le lire, le sujet n’étant pas aisé. Dans tous les cas, on sent l’émotion qui a accompagné ta lecture… Et en parcourant ton avis, on imagine aisément pourquoi ! Si l’antagoniste a l’air juste abominable, la manière dont il est présenté et développé semble, quant à elle, intéressante et cohérente, ce qui ne l’en rend que plus effrayant.

    Aimé par 1 personne

    1. Ton appréhension du sujet se comprend, mais je n’ai pas trouvé le développement si lourd / difficile comme d’autres titres éprouvants où il « faut être en bonnes conditions ».^^ Je te le conseille vivement.
      Tu as très bien cerné la complexité de l’antagoniste !

      Aimé par 1 personne

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